La verrière
La grande verrière du XVème siècle de l’église paroissiale de Quemper-Guézennec (22)
(Sources : blog Jean-Yves Cordier et archives diocésaines de St Brieuc)

Les travaux de démolition de l’ancienne église du XVème siècle débutent en 1869 par le toit, puis les deux côtés et enfin le chevet, qui se situait au niveau des premiers piliers de l’église actuelle. Les démolisseurs ont la surprise de découvrir, sous un enduit d’argile et masquée par des planches de sapin, une verrière ancienne, placée là sans doute en 1793, pendant la période trouble des destructions de chapelles. Le recteur Scolan et le Conseil de fabrique avertissent le président de la Société d’émulation des Côtes du Nord, Geslin de Bourgogne, qui la fait aussitôt démonter avec soin. Si effectivement ce vitrail a été enlevé de la vue des paroissiens au début de la période révolutionnaire, l’absence de réaction, tout au moins dans les écrits, paraît étrange. Grâce à une subvention votée par la Société d’Emulation dans sa séance du 9 juin 1869, la verrière est nettoyée, réparée et replacée dans le chœur du nouvel édifice reconstruit en 1870. Plus tard, en 1899, ce vitrail est complètement restauré par le maître verrier parisien Félix Gaudin. Une nouvelle structure en granit, provenant de la carrière de Munehorre en Pabu, est sculptée à cette occasion.
Cette verrière est sensiblement contemporaine de celle de Notre-Dame-de-la-Cour et de celle de Tonquédec. Les fenestrages présentent en effet entre eux de grandes similitudes. On peut dater le vitrail des années 1460-1470 grâce aux armes de Galehaut de Kerriou et de son épouse Aliette de Garzpern qui y figurent, tandis que l’on n’y voit pas les armes de Jeanne de Kerriou et de Vincent Ruffaut, son troisième mari.
La fenêtre est divisée par cinq meneaux en six lancettes, renfermant chacune deux panneaux de verre historiés. Dans chaque panneau, sous un dais et posés sur une console architecturale, un apôtre (Nouveau Testament) et un prophète (Ancien Testament) se détachent sur une draperie damassée de couleur, laissant parfois apparaître au-dessus et sous le dais un fond de couleur différente. On trouve sur cette maîtresse-vitre le texte fondateur de l’Église, c’est-à-dire les paroles du Credo (Je crois en Dieu Tout-puissant) tirées du Symbole des Apôtres, profession de foi chrétienne, dictée aux apôtres sous l’influence de l’Esprit-Saint, et qui parallèlement s’appuient sur des citations empruntées aux prophètes représentés (Crédo prophétique et Apostolique).
Les Apôtres portent de grands nimbes ciselés comme des pièces d’orfèvrerie. Ils sont vêtus de manteaux blancs et de robes de couleur, et tiennent d’une main leurs attributs respectifs (Pour les attributs des Apôtres, voir également dans le porche d’entrée de la chapelle de Kermaria-an-Isquit à Plouha ou dans le porche de la basilique Notre-Dame-de-Bon-Secours à Guingamp) et de l’autre un phylactère sur lequel est inscrit l’un des versets du Credo. À côté de chacun d’eux, un prophète, vêtu d’une robe et coiffé du bonnet des Juifs, tient un phylactère portant le verset correspondant de son livre, montrant ainsi la concordance de l’Ancien et du Nouveau Testament.


Il s’agit d’un sujet très répandu au Moyen Âge, notamment chez les miniaturistes et peintres verriers du Duc de Berry. On le trouve en effet reproduit sur les Grandes Heures du Duc en 1409, sur les vitraux de la Sainte Chapelle de Bourges en 1400-1405 et sur ceux de la Sainte Chapelle de Riom aux environs de 1450. En Bretagne, en dehors de Quemper-Guézennec, on voit le même sujet sur les vitraux de la chapelle de Kergoat en Quéménéven (29).
Les grands nimbes travaillés, la coupe caractéristique de la barbe des personnages et leurs physionomies rappellent Maître Francke ou Joanne Koerbecke. C’est donc à l’école de Maître Francke, profondément influencée par l’art bourguignon, que l’on doit, semble-t-il, attribuer le carton de la verrière de Quemper-Guézennec. Les couleurs foncées des verres peints permettraient d’attribuer cette verrière à l’atelier de Tréguier et aux Maîtres verriers trégorois Olivier Le Coq et Jehan Le Lavanant (information de Jean-Yves Cordier sur le blog : Lavieb.aile). On peut déplorer que l’on n’ait pas restitué dans le tympan les armoiries anciennes qui s’y trouvaient jadis. Toutefois, Félix Gaudin a eu l’heureuse idée d’y reconstituer le trétamorphe (Le tétramorphe est la représentation des quatre évangélistes sous leurs formes allégoriques).
Le tableau du Rosaire,
une œuvre d’art à restaurer
Des générations ont pu observer de loin un tableau imposant accroché à 8 mètres de hauteur au-dessus du porche de l’église. Il obstruait la porte des sonneurs de cloches. Il pourrait avoir été installé à cet étrange emplacement après l’électrification des cloches en 1953, qui rendait inutile cette porte fenêtre donnant sur la nef. À notre connaissance, personne n’a souvenir de le voir ailleurs.
Descendu à l’occasion des premiers travaux de réfection des peintures de l’église à la fin des années 1980, il a connu quelques réparations de fortune puis a été replacé au-dessus du porche.
Lors de l’exposition Fleuriot de Langle installée en 2004 dans l’église, un visiteur, Jean René Donguy, s’interroge sur l’auteur de ce tableau. Il pourrait s’agir de son arrière-grand-père Raphaël Donguy (1812-1877), peintre briochin de tableaux religieux.
L’association Racines et Patrimoine propose de s’y intéresser. Le tableau est descendu en 2005 et placé dans la sacristie. Il s’avère que la toile, qui pourrait dater du milieu du XIX ème siècle, ne comporte ni signature ni date visible. Elle reste donc à ce jour dite de Raphaël Donguy. Constatant une toile très abîmée, l’association alerte la Commune et l’invite à envisager une restauration au regard de son intérêt patrimonial.
Description du tableau
D’une hauteur de 175 cm sur 120 cm de large, l’huile sur toile est insérée dans un cadre en bois peint en noir et listel doré. Le tout mesure 195 cm sur 138 cm et 8 cm de profondeur.
La scène religieuse présentée est particulièrement fréquente dans l’art religieux en Europe occidentale à partir du XVIIème siècle. On la trouve en nombre dans nos églises et chapelles sous forme de vitraux, retables ou tableaux. Cette représentation est présente par exemple à Pontrieux, Runan, Lannion, Paimpol, Pleubian.
Appelé La Donation du rosaire, La Remise du rosaire, Le Don du rosaire ou encore L’Institution du rosaire, ce tableau évoque la tradition selon laquelle la Vierge apparaît à Dominique de Guzmán (1170-1221) à Albi, en 1210, et lui remet un chapelet qu’il dénomme «couronne de roses de Notre-Dame». Grâce à ce chapelet, Dominique triomphe de l’hérésie albigeoise. La dévotion dominicaine à la Vierge du Rosaire est instaurée au XVème siècle.
La Vierge assise, portant l’enfant Jésus sous son bras gauche, est représentée tendant le chapelet à Saint-Dominique. L’Enfant offre le rosaire à Sainte-Catherine de Sienne. Quinze médaillons, les 15 mystères du Rosaire, représentatifs de la vie de Jésus, encadrent les personnages principaux. Se lisent ainsi de droite à gauche : l’Annonciation, la Visitation, la Nativité, la Présentation, le Recouvrement de Jésus au temple, l’Agonie au Mont des Oliviers, la Flagellation, le Couronnement d’épines, le Portement de croix.
Les pistes de la restauration
Sollicitée par Racines et Patrimoine, la Conservatrice des Antiquités et Objets d’Art des Côtes-d’Armor visite l’église en décembre 2019. Plusieurs éléments du patrimoine religieux sont recensés et inspectés pour une éventuelle restauration en particulier les statues de la Piéta, le Saint-Jean-Baptiste et le tableau du Rosaire. La Conservatrice émet des préconisations en juin 2020 sur les opérations à effectuer sur ce tableau. Il s’agit d’un traitement devant « comporter des interventions de conservation, afin de prévenir les risques de dégradation, et de restauration à proprement parler, de manière à réduire les déformations du support et de la couche picturale d’origine, et à faciliter la lecture de l’œuvre ». Les préconisations sont transmises à des ateliers de restauration spécialisés. L’association accompagne en 2021 les entreprises qui se rendent sur place pour préparer leurs devis.
Dans son constat sommaire remis à la Commune en février 2023, l’Atelier Claire Le Goff indique que « cette œuvre a souffert de mauvaises conditions de conservation. Elle a déjà subi des restaurations par le passé. La toile, composée de deux lés de toile assemblés par couture, est fortement fragilisée. (…) Une restauration fondamentale est nécessaire. »
« La couche picturale assez fine présente de nombreuses usures. (…) Une couche de crasse est présente sur la surface. (…) La toile a perdu de sa tension au support. (…) Le châssis de forme est très altéré avec des lacunes de bois. Il n’est pas possible de le conserver. » Selon le protocole de traitement proposé, l’intervention pourrait durer environ 3 mois. Selon l’Atelier CoRéum, consulté pour la restauration du cadre et la repose du tableau du Rosaire, « le cadre a été précédemment restauré avec des modifications des assemblages et des dimensions originelles ». Il émet l’hypothèse que le cadre proviendrait « sans doute d’un retable ou de boiseries (…) avec une toile peut-être directement pointée au revers d’où la multitude de pointes présentes à intervalles réguliers au revers ».
Plusieurs devis ont été reçus en 2022, 2023 et 2024 pour la restauration de l’huile sur toile associée à la restauration du cadre. Le budget de restauration serait de l’ordre de 10 500 € HT. À ce jour, le tableau est toujours sans emplacement dédié dans l’église où il continue de subir les aléas du temps.
L’association cherche une solution pour que sa restauration puisse être engagée en 2025 avec le plan de financement adapté. La Commune pourra ainsi entreprendre la sauvegarde de cette œuvre dont elle est garante en tant que propriétaire.